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Touring 02/2008
Les ressources pétrolières s’épuisent
inexorablement, estime le géologue Gérard Stampfli, consultant
pour Shell, qui prédit une récession majeure.
Photo: Eliane Clerc
C’est un cri d’alarme que lance le géologue Gérard
Stampfli, professeur à l’Université de Lausanne et
consultant pour Shell. Dans une trentaine d’années, les réserves
pétrolières seront à sec. Sans carburant, le commerce
international s’arrêtera et plongera le monde dans une récession
sans précédent.
Scénario de mauvais film catastrophe? Non. Gérard Stampfli
sait de quoi il parle. Pendant dix ans, il s’est occupé de
prospection pétrolière pour le compte de Shell dans le sultanat
du Brunei, en Nouvelle-Zélande et en Egypte. Aujourd’hui
encore, ses avis sont très demandés par les multinationales
du pétrole. Interview d’un pessismiste lucide.
En ce début d’année 2008,
le baril de pétrole a passé le cap des 100 dollars. Pourquoi
cette soudaine flambée?
Gérard Stampfli: principalement à cause de la spéculation.
Un investisseur voulait être le premier à faire passer le
baril au-dessus de la barre des 100 dollars. Il a acheté la quantité
nécessaire pour atteindre son objectif et l’a revendue par
la suite. Le problème est qu’une multitude d’acteurs
spéculent de la sorte. Ils achètent du pétrole aujourd’hui
avec la conviction de pouvoir le revendre plus cher demain.
Ces spéculateurs, sont-ils nombreux?
Oui. A vrai dire, c’est assez facile. Avec un peu d’argent,
quelques connaissances du métier et internet, vous pouvez vous
lancer et réaliser des gains intéressants. Ce phénomène
maintiendra durablement le prix du pétrole à un niveau élevé.
Faut-il s’attendre à de nouvelles
hausses?
Oui. Le prix peut doubler à n’importe quel moment. On se
trouve dans une situation instable en raison de la spéculation
et de l’impossibilité de produire rapidement davantage de
pétrole brut, et aussi faute de capacités de raffinage en
ce qui concerne l’essence. A mon sens, tous les ingrédients
sont réunis pour un choc pétrolier dans les 10 ans.
N’êtes-vous pas trop alarmiste? Après
tout, les réserves mondiales de pétrole sont gigantesques?
Détrompez-vous. Dans 50 ans, en étant optimiste, ou dans
20 ans, en étant pessimiste, il n’y aura plus de pétrole
si la consommation actuelle continue de grimper.
Les pays producteurs affirment pourtant détenir
des réserves impressionnantes…
Ces chiffres sont largements surfaits. Un bureau de consulting anglais
a évalué les réserves de la Lybie. On arrive à
la moitié du chiffre officiel. Le même constat vaut pour
les autres pays de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de
pétrole).
La fin du pétrole n’est donc pas
un mythe?
Non. Il y a un large consensus sur ce point. Des PDG de compagnies pétrolières
aux conseillers personnels de Georges Bush, tout le monde s’accorde
à dire que l’on se dirige vers une crise majeure.
Vous connaissez bien les multinationales pétrolières.
Sont-elles conscientes que c’est le début de la fin?
Oui. Elles s’efforcent de retarder l’échéance
en reprenant la prospection. Mais les résultats en termes de nouveaux
grands gisements sont maigres, car on se heurte à des difficultés
géologiques de très grande envergure.
Dans quel partie du monde a-t-on encore des chances
de trouver du pétrole?
Beaucoup d’endroits en recèlent, mais en quantités
modestes. On sait qu’il y a du pétrole au Pôle Nord
et en Antarctique, mais les coûts d’exploitation seraient
astronomiques et les conséquences écologiques sans doute
dramatiques.
Et les énergies alternatives?
C’est l’une des pistes explorées. Mais le potentiel
de développement à très grande échelle n’incite
pas à l’optimisme.
Pourquoi donc?
Comment voulez-vous produire assez de biocarburants et d’énergie
éolienne pour satisfaire une demande de 30 milliards de barils
de pétrole par an? C’est un leurre. De plus, on ne fera pas
voler des milliers d’avions avec de la canne à sucre.
Concernant les voitures, les moyens de propulsion
alternatifs existent…
En effet. On peut imaginer construire des voitures fonctionnant à
l’hydrogène. Mais
il faudrait s’y mettre dès aujourd’hui pour avoir un
parc automobile indépendant du pétrole lorsque celui-ci
sera épuisé. Nicolas Hayek s’y intéresse, mais
il est bien le seul en Suisse
A vous entendre, on va droit dans le mur?
C’est évident. Notre monde dépend entièrement
du pétrole et se comporte comme si cette ressource était
inépuisable.
Que va-t-il se passer?
Le fin du pétrole freinera les échanges commerciaux et provoquera
une récession. Sans énergie de remplacement, le monde traversera
une grave crise où les faillites se succéderont. Mais au
terme de cette épreuve, la société sera régénérée.
C’est un peu comme une grave maladie. Quand on en sort, on est plus
fort qu’avant.
Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux
Gérard Stampfli, 59 ans, est professeur
de géologie à l’Université de Lausanne et consultant
pour Shell. De 1978 à 1987, il a travaillé à plein
temps chez Shell dans le domaine de la prospection pétrolière.
Dans ce cadre, il a exploré le sultanat du Brunei, la Nouvelle-Zélande
et l’Egypte. Dans son activité de chercheur à l’Université,
il bénéficie du soutien financier de Shell: "Même
si mes travaux n’ont rien à voir avec le pétrole,
ils intéressent les grandes compagnies qui y trouvent des données
scientifiques sur l’état de la terre il y a 600 millions
d’années."
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