http://www.aredam.net/andre-hebert-ancien-volontaire-du-rojava-repond.html

lundimatin

André Hébert, ancien volontaire du Rojava répond à Médiapart
« 
Pendant que nous luttions pour libérer les territoires occupés par DAESH, les agents de la DGSI nous espionnaient par le trou de la serrure »
Paru dans lundimatin#206 le 4 septembre 2019

 

 

 En 2015, André Hébert s’est rendu en Syrie pour rejoindre les forces kurdes du YPG (« Unités de Défense du Peuple »). Dans Jusqu’à Raqqa, paru aux Belles Lettres en début d’année, il avait raconté la guerre et le front contre Daesh. [Nous en avions publié les bonnes feuilles ici.]

Dans cette tribune, il répond à un article récemment publié sur le site Mediapart qu’il qualifie de "narration anxiogène" derrière laquelle il voit l’influence néfaste des services de renseignement français.

[Lire aussi notre article paru hier : Rojava, ultragauche, propagande et terrorisme - Mediapart intoxiqué par la DGSI ?]

Étant un ancien volontaire français du YPG, je n’ai pas d’autre choix que de répondre à l’article insultant de Mediapart nous concernant. Ce réquisitoire, qui a écœuré beaucoup d’entre nous, nous calomnie suivant un schéma narratif qui, depuis plusieurs années déjà, est presque mot pour mot celui du ministère de l’Intérieur. Le terme de « revenants », habituellement utilisé pour désigner les vétérans du djihad, sert à faire passer ceux qui les ont combattus pour de potentiels terroristes. Les journalistes se rendent coupables d’innombrables erreurs qui ont déjà été relevées par certains observateurs avisés. Il reprennent les méthodes de la DGSI : accuser sans preuve, citer des « sources » qui sont en réalité des mythomanes et des parasites qui ont brillé par leur inutilité quand ils étaient dans les rangs du YPG, ou exhumer de vidéos faites sur le coup de l’émotion, qui n’engagent que leurs auteurs. Le journaliste de Mediapart avait, avant même de me rencontrer, une idée très précise de ce qu’il voulait écrire. De mon livre, qu’il cite à plusieurs reprises, il n’a lu que quelques pages, comme il me l’a dit dès le début de notre rencontre. Fin connaisseur de la région, il semblait moins intéressé par ma version des faits que par celle de ses mystérieux « témoins » sur place ou celle de la DGSI.
 
L’erreur la plus grossière concerne la prétendue « décision de justice rendue en décembre 2016 et qui privait un militant de son passeport et l’empêchait de repartir sur zone ». Ce militant c’est moi et ce n’est en aucun cas à la suite d’une décision de justice que mon passeport m’a été retiré. En décembre 2016, quatre policiers se rendent chez moi, deux jours avant que je ne prenne l’avion pour retourner au Rojava, afin de me confisquer et de détruire mon passeport ainsi que ma carte d’identité. Ils agissent uniquement sur ordre du ministère de l’Intérieur. En lisant la notification qui m’a été remise, j’apprends qu’il m’est reproché d’entretenir des liens avec « l’émanation d’un groupe terroriste » et d’être susceptible d’utiliser mon expérience militaire afin de « porter atteinte aux intérêts français ». L’extrait me concernant stipule : « Considérant que si M… parvenait à rejoindre à nouveau les rangs des combattants des Unités de Protection du Peuple (YPG), son retour sur le territoire national constituerait une menace particulièrement grave pour l’ordre public, l’expérience opérationnelle acquise sur place étant susceptible d’être utilisée dans le cadre d’actions violentes de l’ultra-gauche révolutionnaire perpétrées contre les intérêts français ». En janvier 2017, j’ai contacté Maître Raphaël Kempf avec la ferme intention de contester cette décision et de défendre mes droits. Conformément à la procédure, j’ai pu avoir accès aux arguments du ministère de l’Intérieur avant l’audience. Sur le plan juridique, l’État se basait sur l’article L224-1 du code de la sécurité intérieure pour tenter de l’appliquer à ma situation. L’article concerne pourtant « les déplacements ayant pour objet la participation à des activités terroristes ou des déplacements à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes ». Pour distorde le sens de cet article, et l’appliquer à ma situation, le YPG était qualifié « d’émanation d’un groupe terroriste » alors qu’il n’est pourtant pas considéré comme tel par la France, ni par aucun autre pays du monde (Turquie mise à part). Devant cette évidence, le second argument du ministère était de considérer le Nord-Ouest syrien dans son ensemble comme « un théâtre d’opérations de groupements terroristes » puisque l’État islamique y était actif. Suivant cette logique, que l’on aille en Syrie pour rejoindre l’État islamique ou le combattre, cela ne fait aucune différence aux yeux de l’administration. Le troisième et principal pilier de l’accusation était mes opinions politiques et mon appartenance à « l’ultra-gauche révolutionnaire ». Le simple fait d’être communiste et de me rendre en Syrie pour défendre « la révolution marxiste du Rojava » ferait donc de moi une menace. N’ayant trouvé aucune preuve de mon appartenance à une organisation violente en France et en dépit de mon casier judiciaire vierge, cela suffisait à l’État pour me considérer comme un terroriste potentiel. Comme l’a révélé le dossier d’enquête, même en ayant fouillé mon compte sur un réseau social, épluché mes courriers électroniques, écouté mes conversations téléphoniques passées depuis la Syrie et interrogé « une source humaine » protégée par l’anonymat, la police n’a rien pu trouver de suffisamment significatif pour convaincre les juges de ma prétendue dangerosité. Pour justifier le manque de matière étayant son dossier, le ministère a invoqué de mystérieux documents ne pouvant être communiqués au tribunal car étant « protégés par le secret de la défense nationale » et les non moins énigmatiques « techniques de dissimulation » que je mettrais en œuvre pour cacher mes véritables intentions. Ces allégations étaient tellement grossières et déconnectées de toute réalité que mon avocat a soupçonné les auteurs du dossier d’avoir repris tels quels certains passages figurant dans des documents ayant précédemment servi à incriminer des djihadistes. Devant cet absolu vide argumentaire, il apparaissait clairement que cette accusation était d’ordre politique, et relevait bien plus du délit d’opinion que de la sureté de l’État. Comme j’étais l’un des premiers français politisés à m’être rendu sur place, la police a voulu faire un exemple en me retirant mes papiers d’identité et adresser un message de fermeté à tous les communistes et anarchistes souhaitant se rendre au Rojava. Après une audience rapide, à laquelle le ministère de l’Intérieur n’a envoyé aucun représentant, le tribunal a cassé logiquement l’arrêté me concernant, en l’absence de preuve de ma dangerosité et pour la simple raison que le YPG ne peut être considéré comme une organisation terroriste. 

Avant l’écriture de cet article de Mediapart, j’ai proposé à leur journaliste d’avoir accès à ce jugement, ce qu’il a refusé. Le fait qu’un dangereux « revenant d’ultra-gauche » ait été blanchi par la justice ne rentrait visiblement pas dans la narration anxiogène qu’il s’apprêtait à écrire. 

L’un des auteurs de l’article se complait dans l’idée que « l’inexpérience militaire des recrues françaises, (…) conduisait la direction des milices kurdes YPG (…) à les affecter en priorité à des travaux d’aménagement et de terrassement, ». Cette affirmation est parfaitement fausse. Les volontaires occidentaux du YPG (dont une vingtaine de Français) participèrent activement à toutes les offensives contre les djihadistes. À chacune de ses offensives, des combattants internationalistes étaient tués, d’autres mutilés, certains quelques semaines après leur arrivée au Rojava. 40 de nos camarades européens ou américains (dont trois Français) sont tombés au front, des dizaines d’autres ont été gravement blessés et beaucoup souffrent encore des blessures invisibles qu’ils ont récoltées sur le champ de bataille. Pendant que nous luttions pour libérer les territoires occupés par Daech, les agents de la DGSI nous espionnaient par le trou de la serrure, surveillaient nos conversations, nos fréquentations et, dans certains cas, exerçaient des pressions sur notre entourage. L’officier cité dans l’article, qui a passé « sa carrière à surveiller l’ultra-gauche », et qui nous décrit ironiquement comme tout juste capables de « crever des pneus de Vélib’ » devrait se souvenir que chacun d’entre nous à bien plus contribué à la lutte contre les djihadistes et à la sécurité du monde que lui dans toute sa carrière. Alors qu’il a passé sa vie derrière un bureau, à jouer les espions par écran interposé, nous étions en première ligne contre les commanditaires des attentats de Paris et de Nice.

Pour combattre Daech, il nous fallait évidemment une « formation militaire » dont la DGSI semble avoir si peur. Le but de cette formation était de nous préparer aux combats impitoyables qui allaient suivre, pas de nous entraîner à commettre de quelconques « attaques contre les forces de l’ordre françaises » qui sont le cadet de nos soucis. 

Je connais personnellement la quasi-totalité des anciens volontaires français du YPG. Quand je les regarde aujourd’hui, je vois des hommes qui reprennent le fil de leur vie, qui ont à cœur de défendre les idées qui sont les leurs par un travail politique et non par de prétendues « cellules pré-terroristes » qui n’existent que dans l’esprit d’agents du renseignement accros aux conspirations et de journalistes avides d’histoires visant à susciter la peur. Cet article insultant, plein d’insinuations et de rumeurs, a tout l’air d’une commande de la DGSI aux journalistes de Mediapart. Ces derniers sont visiblement prêts à tout pour rendre service à leurs sources au sein de cette agence de renseignement. Les intérêts des journalistes et des policiers convergent lorsqu’il s’agit de nous caricaturer et de nous calomnier. Cette entreprise de dénigrement vise à discréditer les objectifs pour lesquels nous nous sommes battus : construire un futur basé sur une véritable démocratie et sur le partage des richesses. Ces idées, qui sont au cœur de la révolution du Rojava, sont aussi réclamées de plus en plus ardemment par les Français. C’est cela qui inquiète le pouvoir. Ils ne veulent pas que ce qu’ils appellent notre « radicalité » se répande en France. Ils craignent plus que tout au monde que se diffuse ce « virus » qui crée les révolutionnaires : le fait d’accepter de risquer sa vie pour un avenir meilleur.