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La dernière lettre de Holger Meins, cinq jours avant son assassinat.
A un camarade de prison qui venait d'interrompre sa grève de la faim.
Le 31 octobre 1974

La seule et unique chose qui compte, c'est le combat — maintenant, aujourd'hui, demain —, que tu bouffes ou pas. Ce qui compte, c'est ce que toi, tu en fais : un bond en avant. Tirer la leçon de ses expériences. Faire mieux. Voilà ce qu'il faut en faire. Tout le reste, c'est de la merde. LE COMBAT CONTINUE. Chaque nouvelle lutte, chaque action, chaque bataille apportent des expériences nouvelles et inédites, et c'est comme ça que le combat se développe. Il ne se développe de toute façon que comme ça. Le côté subjectif de la dialectique révolution/contre-révolution : « Ce qui est décisif, c'est de savoir apprendre. »
Par le combat, pour le combat. A partir des victoires, mais plus encore à partir des erreurs, des flips, des défaites. C'est une des lois du marxisme.
Combattre, avoir le dessous, à nouveau combattre, avoir encore le dessous, reprendre le combat et ainsi de suite jus-qu'à la victoire finale. Voilà la logique du peuple. Dit le Vieux (1).
De toute façon : « matière ». L'homme n'est rien que matière, comme tout. L'homme dans sa totalité. Le corps et la conscience sont matière « matérielle », et ce qui fait l'homme, ce qu'il est, sa liberté — c'est que la conscience domine la matière — sol-MÊME, et la nature extérieure, et avant tout : l'être propre. Une des pages de Engels : tout à fait claire. Mais le guérillero se matérialise dans le combat — dans l'ac-

(1). Mao, pour les militants allemands.

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tion révolutionnaire, c'est-à-dire : sans fin ; justement : le combat jusqu'à la mort, et bien sûr : collectif.
Ce n'est pas une affaire de matière, mais de politique. De PRAXIS. Comme tu dis. Avant comme après, c'est un fait. Aujourd'hui, demain et ainsi de suite. Hier, c'est du passé. Un critère sans doute, mais avant tout un FAIT. Ce qui est — maintenant — dépend en premier lieu de toi. La grève de la faim est loin d'être terminée.
Et le combat ne s'arrête jamais.
Mais.
C'est évidemment un point de vue : quand tu sais qu'à chaque VICTOIRE DES SALAUDS ton intention d'en tuer un s'ancre davantage — et que tu ne veux plus prendre part, que tu te mets à l'abri, tu offres par là-même une victoire aux SALAUDS, c'est-à-dire que tu nous livres, c'est toi le salaud qui divises et nous cernes pour survivre toi-même. Alors ferme ta gueule avec ton : « C'est comme je le dis : la praxis. Vive la "R.A.F." ! Mort au système des salauds ! ». Parce qu'en ce cas — si tu ne veux donc pas continuer la grève de la faim avec nous — il vaudrait mieux que tu dises, ce serait plus honnête (si tant est que tu saches encore ce que c'est que l'honneur) : «Enfin bref : je suis vivant. A bas la "R.A.F." Vive le SYSTEME DES SALAUDS. »
Ou un salaud, ou un homme
Ou survivre à tout prix
ou combattre jusqu'à la mort
Ou problème, ou solution
Entre les deux, il n'y a rien.
La victoire ou la mort, disent les types partout, et c'est le langage de la guérilla — même à notre minuscule dimension ici. Car c'est une question de vie comme de mort : « Les hommes (donc nous) qui refusent d'arrêter le combat — ou ils gagnent ou ils se font tuer, au lieu de perdre et de mourir. »
Assez triste d'être obligé de t'écrire encore des choses pareilles. Bien sûr, je ne sais pas non plus comment ça fait quand on meurt ou quand ils en tuent un. Comment le saurais-je ? Dans un instant de vérité, l'autre matin, pour la première fois ça m'a traversé la tête : c'est donc ça (évidemment je ne le savais pas encore), puis après (devant le canon braqué juste entre les deux yeux) : c'est égal, c'était ça. En tout cas, du bon côté.
Tu devrais en savoir quelque chose, toi aussi. Enfin. De toute façon, chacun meurt. La question est seulement de sa-voir comment, et comment tu as vécu, et la chose est tout à

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fait claire : EN COMBATTANT LES SALAUDS en tant qu' HOMME POUR LA LIBERATION DE L'HOMME. En révolutionnaire, au combat — avec un amour absolu de la vie, au mépris de la mort. Voilà ce qu'est pour moi : servir le peuple — la «R.A.F.»

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Déclaration de Jan-Cari Raspe au procès de Stuttgart-Stammheim
Le 11 mai 1976

Je ne parlerai pas longtemps.
Nous pensons qu'Ulrike a été exécutée. Nous ne savons pas comment, mais nous savons par qui et nous pouvons montrer que cela a été savamment calculé. Je rappellerai les propos de Herold : « Les actions contre la "R.A.F." doivent toujours être menées de façon à éviter toute position sympathisante. »
Et ceux de Buback : « La sûreté de l'Etat existe parce que des gens s'engagent pour elle. Des gens comme Herold et moi trouvent toujours un moyen. »
Ça a été une exécution froidement conçue, comme celle de Holger, comme celle de Siegfried Hausner.
Si Ulrike avait décidé d'en finir, parce qu'elle y voyait la dernière possibilité de s'affirmer, d'affirmer son identité révolutionnaire contre la lente destruction de la volonté dans l'agonie de l'isolement — elle nous l'aurait dit — en tout cas à Andreas, étant donné leur relation.
Je crois que l'exécution d'Ulrike maintenant — en ce moment — est motivée par le point culminant, le premier débordement politique que connaît l'affrontement international entre la guérilla et l'Etat impérialiste de la R.F.A. Les informations en parlent, je n'en dirai rien aujourd'hui.
Cet assassinat se situe dans une ligne stratégique, après toutes les tentatives de l'Etat depuis six ans pour venir à bout, pour exterminer physiquement et moralement la « R.A.F. ». Et il vise tous les groupes de guérilla en Allemagne fédérale, pour lesquels Ulrike joue un rôle idéologique essentiel.
Je voudrais maintenant dire que depuis le temps que je connais la relation entre Ulrike et Andreas — et je la con-nais depuis sept ans —, elle était essentiellement intensité et tendresse, sensibilité et rigueur.
Et je crois que c'est précisément le caractère de cette rela-

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tion qui a permis à Ulrike de supporter les huit mois de section silencieuse.
Ça a été une relation comme il peut s'en développer entre frères et soeurs — orientée par un but identique et le rôle qu'y a tenu cette politique.
Et elle était libre — parce que la liberté n'est possible que — dans le combat pour la libération.
Il n'y a eu pendant ces années aucune rupture dans leur relation. Elle n'aurait pas été possible parce qu'elle se déterminait sur la politique de la « R.A.F. ». Et s'il a pu y avoir des contradictions très profondes dans le groupe, elles se définissaient dans une praxis concrète. Dans le cours du travail théorique, le seul qui reste possible en prison, elles ne peu-vent trouver aucune assise, étant donné la situation de lutte identique, et compte tenu de l'histoire du groupe.
Les discussions, les lettres et manuscrits d'Ulrike jusqu'à vendredi soir apportent la preuve qu'il en a été exactement ainsi. Ils expriment nettement le véritable caractère de cette relation.
Prétendre maintenant qu'il y aurait eu des « tensions », un « froid » entre Ulrike et Andreas, entre Ulrike et nous, c'est une calomnie primaire et sinistre pour pouvoir ensuite utiliser dans la guerre psychologique le projet d'exécuter Ulrike : c'est du Buback, dans toute sa dégueulasserie.
Toutes ces tentatives n'ont jusqu'à présent conduit qu'à une chose : une vision de plus en plus claire des forces réactionnaires en Allemagne fédérale, de son fascisme.

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Deux lettres d'Ulrike Meinhof à Hanna Krabbe (1)
Le 19 mars 1976

Ce que racontent les hommes politiques, ce n'est pas ce que les gens pensent, mais ce qu'il faut qu'ils pensent — et quand ils disent « nous », ils ne cherchent qu'à baratiner, pour que les gens croient y retrouver, en mieux formulé, ce qu'ils pensent et leur façon de penser.
Mais l'Etat n'aurait pas besoin de sondages d'opinion, il n'aurait pas besoin non plus de la garantie constitutionnelle si l'endoctrinement par la guerre psychologique était chose si simple.
Comme dit Gramsci, le pays légal n'est pas le pays réel ; ou tout simplement : l'opinion dominante n'est pas l'opinion de ceux qui sont dominés.
C'est de la merde ce que tu dis là. Tu raisonnes dans l'imaginaire. Comme si l'ennemi était l'idéologie qu'il crache, le baratin, les platitudes qu'on te serine dans la boîte à images avec le ton de consensus des hommes politiques, comme si les media et les gens à qui l'on déverse toute cette merde étaient la même chose.
Pas réelle, matérielle, la machine anti-insurrectionnelle (« counter-insurgency ») constituée par le Bureau fédéral de la police criminelle, le Procureur général de la République, le Conseil constitutionnel, le gouvernement, les media, les services secrets, etc.
Comme si l'ennemi n'était pas matériel, mais idéal.
Ainsi tu ne t'interroges pas sur ce qu'est véritablement cette situation que Brandt qualifie de « normale» — et devant les propos de Buback, tu ne remarques pas que lui a pigé le caractère de l'affrontement : la guerre, et sa dimension : internationale, et qu'il parle là en fonction du capital U.S. international. Tu les trouves seulement « absurdes », — et au

(1). Membre du commando Holger Meins, emprisonnée.

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lieu de les analyser, tu trouves un mot — la « C.I.A. », qui constate de façon métaphorique la déchéance morale de la politique de Buback —, et c'est gratuit. Mais tu te dénonces par là, parce que pratiquement tu déplores que ce soit la guerre, après t'être mise clairement de notre côté dans cette guerre et avoir commencé à lutter.
Ton texte s'adresse à un public comme celui des mouvements de droits civiques aux Etats-Unis.
On peut alors se demander : si c'est cela ta cause, pour-quoi es-tu ici et pas là-bas ?
Mais tu es ici.
L'internationalisme pour lequel tu as combattu en te liant à la « R.A.F. » n'est pas du tout celui des organisations internationales qui relient les Etats, telles que l'O.N.U. ou la convention de Genève ; c'est l'Internationale des mouvements de libération qui mène la guerre à l'impérialisme dans le tiers monde et dans les métropoles.
La guerre — voilà tout. Tu ne trouveras pas à t'orienter si tu te réfères à des ragots, mais uniquement en étudiant des faits, et à la lumière de la lutte des classes.
Si, dans l'isolement, tu ne peux fournir l'effort pour toujours suivre et piger la réalité, en la ramenant au concept, à son concept matérialiste, par rapport à la lutte — la lutte des classes prise comme guerre —, c'est que tu vieillis, tu décroches, t'es malade, c'est-à-dire que tu commences à avoir une relation malade avec la réalité. Voilà la trahison, par capitulation devant la réalité de la torture et l'effort que demande la résistance — sinon elle n'est qu'un mot.
Il ne s'agit pas — tu ne peux pas te le permettre dans l'isolement — de te torturer en plus toi-même et pour tout. Ce qui ne signifie pas — comme l'a dit Andreas là-bas — que certaines expériences ne doivent pas être endurées dans le processus de libération de l'aliénation. Mais se crever pour comprendre la politique, les faits et leurs relations, ainsi que pour comprendre le groupe, et pour agir, est une chose ; c'en est une autre de se crever parce que l'isolement t'a enlevé toute illusion sur toi-même, et ça peut être assez dur.
Et si c'est pour être minée, dans ta propension à agir, à cause de la socialisation par l'angoisse et le désespoir, eh bien lutte à partir de ça.
I1 faut bien que tu piges un jour — je ne sais pas — qu'on ne peut obtenir quelque chose avec des mots que s'ils traduisent correctement la situation concrète, celle dans la-quelle chacun se trouve dans l'impérialisme ; qu'il est absurde

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de vouloir faire de l'agitation avec des mots, alors que seules l'explication, la vérité peuvent agiter.
Et que, dans le milieu dans lequel nous combattons — Etat postfasciste, civilisation de consommation, chauvinisme des métropoles, manipulation des masses par les media, tactique de la guerre psychologique, social-démocratie —, et devant la répression à laquelle nous sommes confrontés ici, l'indignation n'est pas une arme. Elle est bornée et purement stérile. Celui qui est vraiment indigné, donc concerné et mobilisé, ne crie pas, mais réfléchit à ce qu'il peut faire.
C'est au S.P.K. — qu'on remplace la lutte par des cris. Ça n'est pas seulement écoeurant, ça te laisse crever dans l'isolement, parce qu'on n'oppose à la répression matérielle brutale que de l'idéologie, au lieu de lui opposer un effort intellectuel, qui demande aussi un effort physique.
Armer les masses — c'est encore avant tout le Capital qui le fait : les flics, l'armée et l'extrême-droite. Donc avant de t'en prendre aux masses de la R.F.A., ou aux « masses » tout court, réfléchis bien à ce qui se passe effectivement ici. Ho Chi Minh écrivait en 1922, dans L'Humanité :
« La masse est fondamentalement prête à la rébellion, mais complètement ignorante, Elle veut se libérer, mais elle ne sait pas par où commencer. »
Ça n'est pas notre situation.
Ce à quoi nous réfléchissons le plus actuellement ici, c'est comment transmettre les expériences, en partie horribles, que nous avons faites dans l'isolement et qui se traduisent par : trahison, capitulation, autodestruction, dépolitisation, afin que vous n'ayez pas à les refaire. Donc s'il est exact que dans la guérilla chacun peut apprendre de chacun, il doit être possible de transmettre les expériences — à condition seulement de comprendre la collectivité en tant que processus — et les établissements officiels dans lesquels on institutionnalise les personnes, en sont totalement l'opposé.
Prendre la collectivité comme un processus, cela signifie lutter ensemble — contre l'appareil qui, lui, est bien réel, et pas du tout imaginaire.

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Section « psychiatrie » : c'est de la merde.
La ligne, à Ossendorf (1) comme partout, c'est : anéantir, et les psychiatres y participent : voir les méthodes qu'applique le Conseil de sécurité de l'Etat, elles sont totalement conçues par des psychiatres. La psychiatrie, comme la science impérialiste en général, est un moyen, et pas une fin.
La psychiatrisation est un front dans la tactique de la guerre psychologique : il s'agit de persuader le combattant écrasé de l'absurdité de la politique révolutionnaire, de lui en-lever toute conviction. C'est aussi une méthode tactique de la police — pour le priver, par la destruction, d'une possible « libération par force », comme l'appelle Buback —, de leur intérêt militaire : le recrutement.
Ce que fait Bücker(2), ce n'est pas de la psychiatrisation — c'est de la terreur. Il veut vous user jusqu'au bout. Avec tes notions de thérapie, de tentatives de lavage de cerveau, tu n'y est absolument pas : tu mets un intermédiaire là où l'attaque est frontale.
La méthode Ossendorf, c'est la méthode taule en général, mais avec, à Ossendorf, une construction perfectionnée et une conception particulière de l'application des peines en la per-sonne de Bücker et Lodt (3). Elle est aseptique, totale. On coupe l'air au prisonnier afin qu'il perde finalement sa dignité, toute conscience de soi et le sens de ce qu'est la terreur. L'idée, c'est d'anéantir. La psychiatrisation n'en est qu'un moment, qu'un instrument à côté d'autres. Si tu te laisses paralyser par elle comme un lapin devant un serpent, tu ne peux rien piger à ce qui marche à côté de ça.
« Pas de fenêtres » — bien sûr. Mais il y a plus encore sous cela : la perte de toute assurance en raison de l'isole-ment, le sadisme avec lequel on la calcule, la perfection dans son application, la volonté d'anéantissement intégrale de la section de sécurité. Il y a de quoi être décontenancée devant l'acuité de l'antagonisme dans lequel nous sommes entrés en luttant, décontenancée de voir que le fascisme règne effective-ment ici. Que ce n'est donc pas seulement en fait une affirmation de notre part, mais une idée exacte du caractère de la répression qui te frappe quand tu commences à faire de la politique révolutionnaire dans cet Etat.

(1). Prison de Cologne-Ossendorf.
(2). Directeur de la prison d'Ossendorf.
(3). Inspecteur de la sécurité à la prison d'Ossendorf.

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Ils ne peuvent psychiatriser personne qui ne l'accepte ou ne le veuille pas. Jeter les hauts cris sur la psychiatrie ne fait que masquer l'isolement. Et lui il agit — c'est contre lui qu'il faut lutter et naturellement il vous faut vous affronter aux chicanes de Bücker.
Donc exiger : qu'il n'y ait pas de contrôle acoustique, seule-ment un contrôle visuel de surveillance, comme à Stammheim. Ici naturellement ça a été aussi une lutte pour obtenir que le flic qui venait nous écouter parte, que nous puissions nous asseoir par terre, etc. De soi, il n'y a que la répression qui marche. C'est pour-tant clair.
T'es aussi une salope. Quand tu sors de ta boîte à ouvrage le mot d'ordre : concentration et comme ligne directrice : prisonniers de guerre. Comme si cela pouvait être une menace — contre Müller(4). Tu déconnes. Nous devons viser la con-centration et l'application de la Convention de Genève — mais qu'attends-tu de Müller ?
Nous les combattons, ce combat ne prendra jamais fin. Et ce n'est pas eux qui nous faciliteront les conditions de lutte. Evidemment si tu ne raisonnes qu'au niveau de la morale bourgeoise, tu vas bientôt manquer de munitions. C'est débile. Alors fais bien attention à toi — parce que personne ne peut le faire à ta place dans l'isolement.
Pas même Bernd (5).

(4). Président du tribunal au procès pour l'affaire de Stockholm (occupation de l'ambassade).
(5). Bernd Rossner, membre du commando Holger Meins, en prison.

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La dernière lettre d'Ulrike, trois semaines avant son assassinat, aux camarades de prison de Hambourg
Le 13 avril 1976

Nous commençons à te trouver vraiment insupportable — avec cette position de classe dont tu te gonfles.
Et ce n'est pas pour une question de définition.
Mais parce que la lutte en est éliminée, donc l'essentiel.
Il n'y en a pas. C'est un piédestal qui a assez peu à voir avec ce que nous, nous voulons. Et ce que nous voulons, c'est la révolution. C'est-à-dire qu'il y a un but et par rapport au but, il n'y a pas de position, mais seulement le mouvement, la lutte ; le rapport à l'être — comme tu dis — signifie donc : combattre.
Il y a la situation de classe : prolétariat, prolétarisation, déclassement, avilissement, humiliation, expropriation, servitude, misère.
Devant l'envahissement total, dans le système impérialiste, de tous les rapports par le marché et étant donné le processus d'étatisation de la société par les appareils d'Etat idéologiques et répressifs, il n'y a pas un lieu ni un moment d'où tu puisses dire : voilà d'où je pars. Il n'y a que l'illégalité et les territoires libérés. Mais l'illégalité comme position offensive pour l'intervention révolutionnaire, tu ne la trouves pas non plus toute donnée ; elle est elle-même un moment de l'attaque, c'est-à-dire que sans cela elle n'a pas d'existence.
La position de classe, c'est la politique extérieure soviétique prétendûment issue de la position du prolétariat mondial et le modèle d'accumulation, prétendûment socialiste, de l'U.R.S.S.
C'est la position — l'apologie — du socialisme dans un seul pays, et cela signifie : une idéologie qui vise à renforcer la domination d'une dictature. Car elle ne s'est justement pas déterminée d'une manière offensive à partir de son opposition

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à l'impérialisme, mais défensivement, à partir des pressions pour l'encercler.
Tu peux dire que la politique intérieure et extérieure soviétique a été nécessaire historiquement — mais tu ne peux pas accepter son absolutisation comme position de classe.
La position de classe — c'est-à-dire : l'intérêt, le besoin, la mission de la classe, de lutter pour le communisme afin de pouvoir vivre —, est contenue dans sa politique, je dirais même : abolie en elle. Mais c'est absolument contradictoire. Position et mouvement s'excluent l'un l'autre. C'est une construction de secours et pour se justifier — une prétention.
Elle prétend dériver la politique de classe à partir de l'économie — ce qui est faux. La politique de classe est le résultat de son affrontement avec la politique du capital ; la politique du capital est un instrument de son économie. C'est ce que là, à mon avis, Poulantzas saisit fort bien quand il dit que les fonctions économiques de l'Etat font partie de ses fonctions répressives et idéologiques, c'est la lutte des classes.
La politique de classe, c'est son combat contre la politique du capital, et non pas contre l'économie qui, directement ou par l'intermédiaire de l'Etat, les prolétarise.
La position de classe du prolétariat, c'est la guerre
— c'est une contradiction in adjecto, de la connerie.
L'Union soviétique parle beaucoup de la position de classe parce qu'elle veut faire passer sa politique d'Etat sous cou-vert de la lutte de classe.
Je dirais : voilà la capitalisation de la politique extérieure soviétique. Ce qui veut dire qu'ils peuvent être des alliés dans le processus de libération, mais pas des protagonistes.
Le protagoniste n'a pas de position — il a un but. Quant à la « position de classe », ça a toujours été un matraquage
— la prétention de détenir et d'octroyer par l'intermédiaire de l'appareil du parti, une conception de la réalité qui ne con-corde pas avec la réalité effectivement perçue et expérimenta-le. C'est prétendre en effet qu'il puisse y avoir une position de lutte sans lutte de classes.
Comme tu le dis : c'est « à partir d'elle » seulement qu'il va falloir agir, et non pas qu'on agit déjà.
En 1969, ce sont les groupes « M-L », « KSV », « AO » (1) qui ont, avec leur « position de classe », dépolitisé le mouvement politique dans les universités, en prétendant juste une politique qu'aucun étudiant ne pouvait plus suivre émotionnellement.

(1). Groupes marxistes-léninistes à tendance maoïste.

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C'était une position de liquidateurs contre le mouvement de protestation anti-impérialiste.
Et je pense que c'est cela l'horreur de ce concept et de ce qu'il contient, à savoir qu'il exclut la possibilité d'une identification émotionnelle avec la politique prolétarienne —, c'est un catéchisme.
Nous, nous ne partons pas justement d'une position de classe, quelle qu'elle soit, mais de la lutte des classes, qui est le principe de toute l'histoire, et de la guerre des classes en tant qu'elle est la réalité dans laquelle la politique prolétarien-ne se réalise, et cela — comme nous l'avons durement appris — seulement dans et par la guerre.
La position de classe ne peut être que le mouvement de la classe dans la guerre des classes, voilà ce qui arme le prolétariat mondial dans son combat, en réalité son avant-garde, les mouvements de libération.
Ou comme le dit Jackson (2) : « connections, connections, connections ». Donc : mouvement, interaction, communication, coordination, lutter ensemble — la stratégie.
Tout ceci est paralysé dans le concept de « position de classe » —, et c'est même ainsi que tu l'utilises quand tu cherches à en convaincre Ilse. Mais à ce propos tu devrais vraiment savoir depuis longtemps qu'il n'y a rien de plus odieux que le bourrage de crâne.
Ou alors : la position de classe est une position triompha-liste.
C'est sûr — elle a également quelque chose d'héroïque. Seulement ce n'est pas à cela que nous visons, mais qu'elle ait un résultat effectif.
J'en ai assez. J'ai l'impression de parler à un mur, et ce n'est pas le sens de la cause. Ce que je cherche, c'est à te faire descendre de ton piédestal.
Alors descends-en donc. Au lieu de fanfaronner.

(2). Le prisonnier noir George Jackson a été descendu par ses gardiens, le 21 août 1971, dans la prison de San Quentin (Californie). Jackson était à la tête du mouvement des Black Panthers. Il a publié un livre sur son expérience de la prison : Devant mes yeux, la mort (Gallimard, 1972).

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Fragment sur la structure du groupe

Il s'agit d'un fragment sur la structure du groupe qu'Ulrike tenait absolument à exposer à Stammheim — afin de détruire la théorie des meneurs que l'Accusation fédérale voulait mettre au point pour mener ce procès. Andreas était contre, et nous aurions voulu le bâtir autrement.
Ça n'a pas grande importance, mais je l'ai quand même sorti aujourd'hui parce qu'il apporte la réfutation des affirmations infâmes de Buback — de ses « contradictions » —, et parce que c'est à cela qu'a travaillé Ulrike en dernier.
Il ne peut être publié qu'intégralement et avec les dernières lettres d'Ulrike, les deux à Hanna Krabbe et celle aux prisonniers de Hambourg.
Jan, le 11 mai 1976.

Aux analyses développées par Habermas (1), il y a selon nous un préalable : la forme que prend la prolétarisation de classe dans les métropoles, — l'isolement dû à une aliénation à tous les niveaux dans une production complètement étatisée.
L'isolement est la condition pour pouvoir ensuite la manipuler.
La liberté face à cet appareil n'est possible que dans sa négation totale, c'est-à-dire en attaquant cet appareil dans un collectif de lutte. Ce sera, cela doit devenir la guérilla si elle veut être une véritable stratégie, c'est-à-dire vaincre.
La collectivité est un moment dans la structure de la guérilla et — une fois posée la subjectivité comme condition pour chacun en particulier dans sa décision à combattre — son moment le plus important. Le collectif est le groupe qui pense, sent et agit en tant que groupe.
La direction dans la guérilla, c'est celui ou ceux qui tiennent ouvert le fonctionnement collectif du groupe et l'organisent au cours de leur pratique : la lutte contre l'impérialisme,

(1). Pendant le mouvement étudiant en Allemagne, Jürgen Habermas était professeur de sociologie à Francfort — 1967-1971.

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à partir de leur autodétermination et de la décision de chacun en particulier d'être un moment de l'intervention ; donc à partir du moment où chacun a compris ne pouvoir ce qu'il veut que collectivement. Ce qui veut dire un groupe dans le-quel tout ce qui est : armée, politique, stratégie, embryon de société nouvelle par son fonctionnement en tant que groupe complètement engagé dans la lutte contre l'impérialisme, est pratiquement, réellement dépassé.
La ligne — c'est-à-dire, étant donné la stratégie tirer la logique et la rationalité des progrès tactiques isolés : des actions — est élaborée par tous ; elle naît au sein de la discussion de l'expérience et du savoir de tous, elle est donc établie collectivement et devient alors impérative.
En d'autres termes : la ligne est développée au cours de la pratique, dans l'analyse de ses conditions, dans l'expérience et dans son anticipation. Elle ne peut avoir une unité que parce qu'il y a unanimité concernant le but et la volonté de l'atteindre.
La coordination dans la pratique des groupes peut s'opérer, une fois la ligne élaborée et comprise, comme un ordre au sens militaire. Son exécution exige une discipline absolue en même temps qu'une autonomie absolue, c'est-à-dire une orientation et un pouvoir de décision autonomes pour chaque situation et avec des conditions différentes.
Ce qui fait que la guérilla à chaque moment, c'est la volonté de chacun en particulier de mener le combat.
Ainsi diriger est une fonction dont elle a besoin pour être opératoire. Celle-ci ne peut pas être usurpée. C'est exactement le contraire de ce qu'affirment les manipulateurs de la guerre psychologique : Andreas n'est pas le dirigeant de la « R.A.F. ». Si Andreas l'était, comme le présente l'Accusation fédérale, il n'y aurait pas de « R.A.F. », il n'y au-rait pas ce procès de la politique depuis cinq ans, tout simplement nous n'existerions pas. S'il assume la direction dans la « R.A.F. », c'est parce qu'il est, depuis le début, ce dont la guérilla a le plus besoin : volonté, conscience du but à atteindre, détermination, sens de la pratique collective.
Quand nous disons : la ligne se développe au cours de la pratique, dans l'analyse de ses conditions, dans l'expérience et dans son anticipation, cela signifie qu'en assume la direction celui qui en a la vision la plus étendue, la sensibilité la plus grande et le plus de force pour coordonner l'opération collective, celui dont le but est l'indépendance et l'autonomie de chacun des membres — au sens militaire, du « combattant singulier ».

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Ce processus ne peut être organisé de façon autoritaire, aucun groupe n'y est disposé, et sa direction sous la forme d'un chef de bande est donc exclue.
Le but de la campagne diffamatoire de l'Accusation fédérale contre Andreas est clair : elle cherche à préparer ainsi la démobilisation de l'opinion publique devant son assassinat. Elle présente toute l'affaire de cette façon : il n'y a qu'à faire crever ce seul type : Andreas, et le problème de la R.F.A., celui de la guérilla urbaine sera résolu — c'est, aux dires de Maihofer (2) le seul problème que l'Etat ne tienne pas en main.
Nous nous permettons d'en douter. Au cours de ces cinq dernières années, nous avons appris d'Andreas — parce qu'il est pour nous l'exemple, c'est-à-dire quelqu'un dont on peut apprendre — à lutter, encore lutter, toujours lutter.
Parce que dans ce qu'il fait, et donc dans ce que nous faisons, il n'y a rien d'irrationnel, rien qui soit obtenu par la force, ou par la torture.
Une des raisons pour lesquelles l'accusation hait le plus Andreas, c'est qu'il se bat effectivement en utilisant toutes les armes. C'est de lui que nous avons ainsi appris qu'il n'y a pas d'arme de la bourgeoisie qu'on ne puisse tourner et retourner contre elle. Voilà le principe tactique. 11 se fonde sur la saisie du processus par lequel le capital développe ses propres contradictions révolutionnaires. Ce qui fait d'Andreas le guérillero, dont le Che dit qu'il est le groupe lui-même.
Il est celui de nous qui, depuis longtemps et pour toujours, a tenu à être dégagé de toute propriété. Voilà la fonction du guérillero qui anticipe sur le groupe et peut ainsi conduire son développement parce qu'il a compris sa nécessité et qu'il a su, en partant de la dépossession totale de fait, de la forme qu'a la prolétarisation dans les métropoles — l'isole-ment, développer la forme métropolitaine de la guérilla, en prenant la force de la subjectivité, de la volonté comme moteur dans le processus de construction d'une organisation de la guérilla en Allemagne fédérale.
Il faut ici rappeler encore une fois qu'au début de toute initiative révolutionnaire — et nous pensons aux mouvements de grèves massifs qu'a connus la Russie en 1905, à la Révolution d'Octobre —, on en passe par la détermination et la volonté d'individus. C'est par leur médiation qu'un processus objectif, organique trouve une orientation, une durée, une co-

(2). Ministre de l'Intérieur fédéral — membre du bureau du F.D.P.

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hérence, une stratégie, une continuité et donc devient une force politique.
Pour Gramsci, la volonté est une condition sine qua non : la volonté forte constitue le moteur du processus révolutionnaire au cours duquel la subjectivité se fait pratique.

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