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L'affaire : Karim Achoui, grandeur et décadence

En 2007, « l'avocat du milieu » était victime d'une tentative d'assassinat et accusait la police. Aujourd'hui, la justice écarte la théorie du complot et renvoie ses agresseurs devant les assises.

Publié le 30.10.2012

Toujours tiré à quatre épingles, l'avocat affiche ses passions pour l'opéra et la peinture.

Toujours tiré à quatre épingles, l'avocat affiche ses passions pour l'opéra et la peinture.| Olivier Roller/Fedephoto

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Le soir du 22 juin 2007, peu avant 22 heures, Karim Achoui quitte son cabinet d'avocat feutré du boulevard Raspail, dans le 7e arrondissement de Paris. Forcément soucieux.

Dans la journée, le pénaliste a été condamné à un an de prison, 10 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction d'exercer pour avoir imité la signature de son ex-femme dans l'achat d'un commerce de chaussures.

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Une gifle pour celui qui, à 39 ans, a vite gravi les échelons du barreau de Paris.

L'avocat se dirige vers son Austin Mini quand deux hommes en scooter surgissent. Achoui comprend. « Non, non ! », crie-t-il. Il se met à courir. Casque sur la tête, le passager dégaine une arme de poing et tire. Achoui est touché par deux balles de 11,43. Du gros calibre, celui que le milieu affectionne pour les exécutions.

Il fait encore quelques mètres puis s'effondre sur le trottoir. Le tueur s'approche. Presse quatre fois la détente mais, comme son pistolet automatique s'enraye, prend la fuite. Aussitôt, la nouvelle fait le tour du tout-Paris judiciaire et médiatique : on a voulu tuer l'avocat du milieu !

Dans un état critique, Karim Achoui est transporté aux urgences. Pendant plusieurs jours, son pronostic vital est engagé, mais le pénaliste survit. Depuis son lit d'hôpital, deux semaines après l'agression qui aurait dû lui être fatale, l'avocat convoque la presse. Et brocarde la police.

Sur son lit d'hôpital, l'avocat répond aux questions de la presse et accuse la police.

Karim Achoui accuse en effet la PJ d'être impliquée dans la tentative d'assassinat : « 5 % des flics sont des voyous. » « Pour certains (...), j'étais l'homme à abattre », assène-t-il.

Un an plus tard, en 2008, dans un livre, L'Avocat à abattre, Karim Achoui désigne même un commissaire de police, chef de l'antigang de Versailles, qui aurait poussé, selon lui, un indic à le supprimer.

« Une frange de la police, plus particulièrement versaillaise, a trempé jusqu'au cou. Cela semble une évidence », avance-t-il. « Ces dernières années, je suis devenu l'avocat du top 10 des grands bandits. Autour de moi, il y a des gros voyous, dont certains sont sortis de prison grâce à ma défense (...). Je pense que je gêne un certain nombre de policiers. A un moment précis, ils ont fait courir le bruit dans le milieu du grand banditisme que j'étais une balance… Ils ont voulu me griller, car je ne suis pas contrôlable », s'obstine-t-il à la télévision.

Un policier révoqué lui aurait confié avoir été chargé par sa hiérarchie de le déstabiliser en le faisant passer pour un indicateur. Puis l'une de ses anciennes secrétaires aurait été « infiltrée » par la police pour le piéger en cachant de la cocaïne à son cabinet.

Karim Achoui a-t-il été victime d'un complot policier ? L'enquête va durer cinq ans. Six hommes, des voyous, viennent d'être renvoyés devant la cour d'assises de Paris. Et, selon le juge d'instruction Patrick Gachon, aucun policier n'a participé à cette conspiration que Karim Achoui n'a de cesse de dénoncer.

Une amie trop bavarde
A commencer par le commissaire de Versailles, Stéphane Lapeyre, que l'avocat a nommément désigné comme ayant « trempé » dans l'invraisemblable combine – accusation qui lui a valu une condamnation pour « diffamation publique envers un fonctionnaire de police ».

« Cette mise en cause était totalement aberrante puisque le commissaire Lapeyre n'a jamais travaillé sur un dossier impliquant Karim Achoui ou l'un de ses clients, souligne le défenseur du policier, Me Thibault de Montbrial. L'idée était, pour Karim Achoui, de s'offrir une tribune dans les médias pour accréditer la thèse d'un complot policier destinée, en réalité, à servir sa défense dans le dossier Ferrara. »

En 2008, l'avocat du milieu est devant les assises de Paris, accusé de complicité dans l'évasion de son client, le célèbre braqueur Antonio Ferrara – Achoui écopera de sept ans de prison, avant d'être acquitté en appel en 2010.

La veille du premier procès, une « amie proche » de l'avocat se confie au téléphone à un interlocuteur placé sur écoute dans le cadre d'un trafic de stupéfiants. Selon elle, Achoui « a fait tout ce remue-ménage (...) en disant que c'est les keufs qui lui en veulent, etc., etc., pour le procès Ferrara... ».

Le juge Gachon a versé l'enregistrement à son dossier. Le magistrat s'est également interrogé sur l'infiltration supposée d'une secrétaire du cabinet Achoui. En réalité, la jeune femme n'aurait pour toute relation dans la police qu'un ancien adjoint de sécurité... Quant au « policier révoqué » qui aurait été missionné pour faire passer l'avocat pour un indic, il expliquera s'être « fait piéger » par le pénaliste.

Une piste concernant l'agresseur, finalement retenue par le juge d'instruction, a été suggérée fin 2007 par le commissaire diffamé, Stéphane Lapeyre.

Dans un rapport basé sur un « renseignement anonyme », le policier désigne les commanditaires et le bras armé de l'homicide raté : « Le tireur pourrait être le dénommé Ruddy Terranova, domicilié à Aubergenville, qui aurait agi pour le compte de Djamel Hakkar, frère d'Hamid Hakkar, originaire de la cité Pablo-Picasso à Nanterre et proche d'Antonio Ferrara. »

Lors de la séance d'identification au 36, quai des Orfèvres, Ruddy Terranova portait le numéro 7.

Le commissaire et Ruddy Terranova se connaissent bien : le premier avait inscrit le second en tant qu'indic au Bureau central des sources (BCS) du Service interministériel d'assistance technique (SIAT) en novembre 2006 avant de l'en radier en octobre 2007.

Terranova, lui, a toujours démenti être une balance et, face au juge, il explique : « Pour revenir aux services de police de Versailles, je tiens à préciser qu'ils ont une haine féroce à mon égard. Ils veulent faire croire que j'ai travaillé pour eux. »

Mais il est établi que les deux hommes ont échangé quelque 310 coups de téléphone, dont certains la veille et peu après l'embuscade du boulevard Raspail.

« On a rigolé quand il a accusé la police »
Le mobile de Terranova ? Selon le commissaire Lapeyre, « éteindre une dette de 50 000 euros », contractée auprès de Djamel Hakkar qui, avec ses frères, est soupçonné de contrôler une partie du marché francilien du cannabis. Sur ce point, l'enquête n'est pas affirmative.

Deux autres hypothèses sont avancées. D'abord des placements en Algérie engagés par la famille Hakkar – un policier estime que les Hakkar ont été « carottés de 2 millions d'euros ». Ou encore une affaire de stupéfiants dans laquelle un client d'Achoui, « après avoir rencontré son conseil », aurait dénoncé la fratrie de Nanterre.

Entendu comme témoin, un truand ironise lorsque le juge Gachon l'interroge sur les commanditaires de la tentative d'assassinat de Karim Achoui : « Il y a beaucoup de gens qui ne l'aiment pas. En tout cas, tout le monde sait que ce n'est pas la police. On a tous rigolé quand on a vu qu'il accusait la police. De toute façon, il ne peut pas dire que c'est un de ses clients qui lui a tiré dessus, ne serait-ce que pour son image. »

Ce témoin n'est autre que le neveu des frères Hornec, présentés comme les parrains de Paris et longtemps les plus gros clients du cabinet Achoui...

Finalement, ce sont les pratiques professionnelles de Me Achoui qui se retrouvent au cœur de l'enquête. Entendus, certains ex-collaborateurs soulignent l'exercice « déviant » de la profession par leur patron.

Karim Achoui avec l'acteur Samy Naceri et Christophe Rocancourt, condamné plusieurs fois pour escroquerie.

Contacté, l'un d'eux, sous couvert d'anonymat, confirme ces accusations : « Aux clients, il leur promettait n'importe quoi, donc il ne pouvait y avoir que des déçus. Il disait à X qu'il n'irait jamais en prison, à Y qu'il en sortirait le lendemain. Bien sûr, ce n'était jamais le cas. »

Plusieurs clients vont d'ailleurs expliquer au magistrat la nature de leurs griefs. Par exemple, ce gros trafiquant recherché pour l'importation de plusieurs tonnes de cannabis et de cocaïne, qui acceptera de téléphoner aux enquêteurs depuis le Maroc où il se cache. Il traite son avocat de « menteur » et d'« escroc » et s'étonne que « personne n'ait tenté de le tuer plus tôt que ça ».

Toujours selon lui, après avoir encaissé 50 000 euros, Me Achoui lui aurait fait croire qu'il allait voir régulièrement sa femme incarcérée aux Baumettes, ce qui était faux. Pour finir, le criminel a préféré renoncer aux services de l'avocat, parce qu'il craignait que la réputation d'Achoui ne joue en défaveur de son épouse...

Mais ce n'est pas tout. Me Achoui a encaissé sur son compte professionnel les 1 501 euros qu'avait accordés le tribunal à un client. Un pédophile racontera s'être senti trahi par l'avocat qui lui avait laissé croire qu'il ne serait jamais incarcéré car il connaissait le juge chargé du dossier.

Ou cette femme, en conflit avec son mari, à laquelle Achoui avait proposé une commission « conséquente » pour lui permettre d'opérer une saisie sur le patrimoine immobilier de son époux. Pour finir, ce client qui révoque l'avocat parce que celui-ci avait une liaison avec sa compagne pendant que lui-même était incarcéré.

Certains de ces dossiers ont entraîné, en mai 2012, la radiation à vie de Karim Achoui du barreau de Paris. Le bâtonnier dénonce de « nombreux manquements déontologiques » et une « volonté de rester en marge des principes régissant la profession d'avocat ».

Aujourd'hui, à 45 ans, Karim Achoui, qui n'a pu être joint, se présente, dans une vidéo postée sur le Net, comme « avocat à la retraite », reconverti dans la restauration.

Même si, en 2011, il a déjà été condamné – et relaxé – pour travail dissimulé et que son propre frère a porté plainte pour usurpation de signature dans un document ayant permis l'ouverture du restaurant.

Accusé d'abus de confiance


Le 6 novembre, le tribunal correctionnel de Paris doit rendre son jugement à l'encontre de Karim Achoui dans une affaire d'abus de confiance.

En septembre 2007, l'avocat a réclamé 17 000 euros à une cliente souffrant de problèmes psychiatriques, qui lui avait demandé des conseils pour son divorce. Me Achoui aurait encaissé les honoraires sans apporter d'aide juridique.

Lui assure que sa cliente avait « la tête sur les épaules », « une mémoire redoutable » et qu'il avait plaidé pour elle un dimanche matin. Le parquet a requis six mois de prison avec sursis.

Le Parisien Magazine

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